Simon du fleuve

Simon du Fleuve : chronique d’un monde en ruines et d’un espoir tenace

Dans les années 70, alors que la bande dessinée franco-belge commence à explorer des chemins plus adultes, engagés et poétiques, une œuvre se distingue par sa puissance visionnaire : Simon du Fleuve, imaginée et dessinée par Claude Auclair. À travers les yeux d’un homme libre dans un monde brisé, cette série propose un récit profondément post-apocalyptique, écologique et humaniste.

Un monde après la chute

Dans un futur proche, l'humanité a été décimée par une guerre nucléaire. Les structures sociales se sont effondrées. Les survivants, livrés à eux-mêmes, doivent réapprendre les gestes simples de la survie, reconstruire des communautés, inventer une autre manière de vivre.

Mais le mal ne meurt pas si facilement. D’anciens privilégiés ou de nouveaux tyrans cherchent à rebâtir leur pouvoir en s’imposant par la force. Ce sont les "Maîtres des Cités", des groupes militarisés, technocrates ou religieux, qui exploitent la faiblesse des peuples pour régner.

Simon : un homme libre au cœur du chaos

Simon est un homme du passé qui a choisi de vivre dans ce nouveau monde sans céder à la brutalité. Ancien citadin, il devient nomade, guidé par ses convictions : liberté, justice, respect de la nature et des autres. Philosophe dans l’âme, il n’hésite pas à combattre l’injustice, mais toujours dans une démarche humaniste.

Il traverse des communautés diverses : certaines pacifiques, d’autres perverties par la peur, le pouvoir ou la folie. Simon n’a ni patrie ni dieu, mais une boussole intérieure : rester humain dans un monde déshumanisé.

Les albums de la série

La série principale compte 9 albums, publiés entre 1976 et 1989. En voici la chronologie :

Le Clan des Centaures (mars 1976)

➤ Premier contact avec le monde de Simon. Il aide un village opprimé par des bandes armées.

Les Esclaves (février 1977)

➤ Simon dénonce un système esclavagiste dans une cité technologique isolée.

Maïlis (février 1978)

➤ Un récit plus intime autour d’une femme libre, Maïlis, avec qui Simon partage une quête d’absolu.

Les Pèlerins (août 1978)

➤ Une parabole sur la foi, l’exil, et le besoin de croire en une autre vie possible.

Cité N.W. n°3 (janvier 1979)

➤ Exploration d’une cité "moderne", vestige du vieux monde, où le pouvoir est plus subtil mais tout aussi destructeur.

L'Éveilleur (juin 1988)

➤ Simon devient figure de légende. Un jeune garçon va croiser sa route et se confronter à son héritage.

Les Chemins de l’Ogam (octobre 1988)

➤ Un album plus mystique, où les références celtiques et spirituelles sont très présentes.

Naufrage – Tome 1 (avril 1989)

➤ Une nouvelle histoire commence, centrée sur la dérive intérieure et physique d’un survivant.

Naufrage – Tome 2 (septembre 1989)

➤ Conclusion du diptyque, sous une tonalité plus sombre. Claude Auclair meurt peu après, en 1990.

 Le "tome 0" : La Ballade de Cheveu-Rouge

Un album antérieur existe : La Ballade de Cheveu-Rouge, tiré à 500 exemplaires dans une édition pirate. Il s’agit d’un récit inspiré, voire fortement calqué, sur Le Chant du Monde de Jean Giono. Les héritiers de Giono porteront plainte, et l’album sera interdit.

Il sera finalement réédité dans La Dame Noire, un recueil posthume. Ce tome "0", bien qu'à part, donne un éclairage intéressant sur les premières intentions d’Auclair, déjà fasciné par l’homme face à la nature, la liberté, la solitude.

LIEN

(merci aux scanneurs, retoucheurs, etc)

Claude Auclair : un auteur engagé

Claude Auclair (1943–1990) était un dessinateur humaniste, engagé dans les combats écologistes, libertaires et tiers-mondistes de son époque. Ses œuvres, et notamment Simon du Fleuve, sont des manifeste graphiques sur la dignité, la résistance, et l’espoir.

Son trait, parfois austère mais toujours expressif, donne à ses récits une force sensorielle. Les visages marqués, les paysages rudes, les silences entre les cases : tout invite à la réflexion et à l’émotion.

Une œuvre toujours actuelle

Bien que profondément ancrée dans les questionnements des années 70, Simon du Fleuve résonne aujourd’hui avec une force intacte. Crise écologique, rejet du totalitarisme, peur d’un progrès déshumanisé, quête d’autonomie : autant de thèmes qui trouvent un écho troublant dans notre monde contemporain.

Mais loin du désespoir, la série propose une vision lucide et humaniste. C’est une fable politique et poétique, une invitation à repenser notre rapport à la nature, au pouvoir, à la solidarité.

À travers Simon, une autre voie se dessine : celle d’un monde à reconstruire, non avec la domination, mais avec le cœur et les mains.

Et toujours, en filigrane, cette question essentielle : qu’est-ce qu’être humain, quand tout s’effondre ? (vous avez 1 heure)