La Croisière des Oubliés (Christin / Bilal, 1975) – Quand un village s’envole…
En 1975 paraît chez Dargaud un album au titre intrigant : La Croisière des Oubliés. Signé par Pierre Christin au scénario et Enki Bilal au dessin, cet ouvrage inaugure la trilogie des Légendes d’Aujourd’hui. C’est aussi l’une des toutes premières grandes œuvres de Bilal, alors âgé d’à peine vingt-quatre ans, qui venait tout juste de se faire remarquer dans les pages du magazine Pilote.
L’histoire prend place dans les Landes, vaste territoire de forêts, de dunes et de petits hameaux tranquilles, encore épargnés malgré l’arrivée des usines et des projets d’aménagement du littoral. À Liternos, un village paisible, la vie suit son cours, immuable. Jusqu’au jour où un événement incroyable bouleverse la routine : certaines maisons se mettent littéralement à flotter dans les airs.
Le village tout entier s’arrache du sol, échappant aux militaires et aux puissances industrielles qui convoitaient ces terres. Cette lévitation mystérieuse devient alors le symbole d’une échappatoire face à l’oppression, et ouvre une fable à la fois politique, écologique et poétique.
Derrière cette intrigue fantastique, Christin développe une satire sociale et engagée : la critique des dérives militaristes, de l’urbanisation sauvage, mais aussi de la soumission des populations aux puissances économiques. L’arrivée d’un homme recherché, aux allures de révolutionnaire visionnaire, accentue ce parallèle politique et donne au récit une portée plus large. La Croisière des Oubliés se lit ainsi comme une fable anarco-écolo, rêve éveillé d’un monde où l’impossible devient une échappatoire face à l’ordre établi.
Graphiquement, l’album témoigne des débuts d’Enki Bilal. Ses dessins, encore marqués par l’influence classique, révèlent pourtant déjà un style personnel, sombre et expressif, qui s’affirmera dans les années suivantes. Les visages parfois durs, presque caricaturaux, donnent une atmosphère particulière au récit, renforcée par une mise en couleurs brute, typique des années 70.
La réception de l’album est contrastée. Certains lecteurs y voient une œuvre forte et visionnaire, d’une originalité rare pour l’époque, portée par des thèmes qui résonnent encore aujourd’hui : l’écologie, l’antimilitarisme, la critique sociale. D’autres, au contraire, jugent le récit vieilli ou daté, marqué par son contexte politique et culturel des années 70, avec un propos naïf et un graphisme de jeunesse qui ne séduisent pas tous les publics. Mais qu’on l’admire ou qu’on le rejette, La Croisière des Oubliés reste une étape importante : c’est le premier jalon de la collaboration entre Christin et Bilal, un duo qui marquera profondément la bande dessinée de science-fiction et d’anticipation dans les décennies suivantes.
Aujourd’hui, l’album garde une place à part dans l’histoire de la BD : à la fois témoignage d’une époque, miroir des préoccupations sociales et politiques de son temps, et première pierre d’un univers artistique qui n’a cessé de grandir avec Bilal. Une lecture qui interpelle, qui divise, mais qui demeure incontournable pour qui veut comprendre l’évolution de la bande dessinée d’auteur en France.
Merci au scanneur d'origine
MERCI !
RépondreSupprimerMerci Anacho pour cette excellente publication et le partage de cet album
RépondreSupprimerGrand merci Anacho..!.
RépondreSupprimerMerci pour la découverte de cet album.
RépondreSupprimerDe découverte en découverte un grand merci Anacho tu nous gâtent
RépondreSupprimerJe l'avais, mais en moins joli (en plus de l'album papier). Merci, Anacho.
RépondreSupprimerMerci Anacho et le scanneur d'origine, pour cette découverte !!!!!!
RépondreSupprimerMerci Anacho et au scanneur.
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